Les Tramways de L’Ouest du Dauphiné (T.O.D.) ont sillonné pendant une trentaine d’années nos campagnes. Comme beaucoup de « petits trains » d’autrefois, ils ne furent guère appréciés de leurs utilisateurs qui d’ailleurs trouvaient souvent des termes péjoratifs pour les désigner : tacot, tortillard, patache…Et pourtant…-Les quatre lignes des T.O.D. desservaient une population rurale de 45 communes et 30.000 habitants. Elles n’avaient pas été mises en place par hasard et une certaine logique avait présidé à leur implantation.
- Il était légitime de chercher à combler les manques des réseaux existants : les T.O.D. permettaient par exemple aux habitants de la Côte St. André de faire la liaison entre leur ville et leur gare « grande ligne » du Rival ( 5 km !)
- Ces lignes n’étaient pas un luxe inutile : les populations rurales d’alors pouvaient être considérées comme déshéritées sur le plan des transports. La ferveur qu’elles manifestèrent à l’annonce de la construction des lignes de chemin de fer prouvait que ce nouvel instrument était tout à fait apte à satisfaire les besoin immédiats.
- Leur tracé n’était nullement fantaisiste ou incohérent, ceci pour l’excellente raison qu’elles suivaient le plus souvent des routes ou chemins établis en toute logique des centaines d’années auparavant, ne s’en écartant que lorsque la pente devenait trop forte et les retrouvant une fois l’obstacle franchi. Les centres des localités étaient dans la plupart des cas directement desservis, résultat appréciable et apprécié. Mais malheureusement…
- Ces tracés utilisant routes et chemins existants se révélèrent vite une gêne pour les autres utilisateurs et notamment pour la circulation automobile naissante, ce qui dans les zones urbaines, était un inconvénient important.-L’esprit d’économie systématique et la gestion à la petite semaine présida à la gestion des trois exploitants successifs (deux exploitants privés et un public)
- Les investissements portant sur la rentabilité à long terme ne furent jamais faits.
- Il n’y eut jamais de vraie volonté d’améliorer le service rendu (et donc les recettes). Le réseau des Tramways de l’Ouest du Dauphiné n’avait donc aucune chance de pouvoir lutter contre la circulation automobile, et ses jours étaient comptés dès les premières années de son existence… L’étonnant est bien qu’il ait duré si longtemps…
Les gares
En 1920, le réseau des T.O.D. comptait 28 gares, 35 stations et 51 arrêts facultatifs soit en moyenne un arrêt tous les 1500m. Bien que d’allure très ferroviaire (ce qui permet de les reconnaître aujourd’hui du premier coup d’œil), les bâtiments offraient d’assez notables dissemblances du fait des interventions successives des trois organismes d’exploitation : T.D.I, Sud-France, et V.F.D. Les bâtiments voyageurs se présentaient sous la forme d’une construction à un étage dont les dimensions au sol étaient de 10m x 5m : le rez-de-chaussée comprenait un bureau, une salle d’attente, un local à bagages, une cuisine et un petit bâtiment accolé à usage de W.C. Deux chambres occupaient le premier étage. Le local à marchandises, d’environ 25 m², avec quai haut découvert, n’était pas souvent accolé au bâtiment voyageur mais plutôt placé à quelque distance de celui-ci. Une seule gare sur toute la ligne offrait aux voyageurs – raffinement suprême – un trottoir en ciment longeant le bâtiment des voyageurs !
La gare de Roybon comprenait des remises, des ateliers de réparation du matériel, une plaque tournante et une grue hydraulique avec réservoir en maçonnerie d’une contenance de 20 m3. 1 – Gare et W.C. 2 – Quai + local marchandises3 – Magasin et logement4 – Remise à voitures5 – Remise à locomotives6 – Atelier d’entretien et grosses réparations7 – Transformateur
Les convois
Conventionnellement, la longueur des trains (voyageurs, marchandises ou mixtes) était limitée à 60 m, le nombre de véhicules remorqués ne devant pas être supérieur à 10.En pratique, il semble bien que les trains mixtes ne comptèrent jamais plus de 6 ou 7 voitures ou wagons; la double traction (deux locomotives) — qui ne fut jamais utilisée apparemment — s’imposant au delà de cette charge. La vitesse autorisée était de 35 km/h en ligne et 15 km/h dans les traversées urbaines. La vitesse commerciale théorique était de 20 km/h. Mais dans la pratique ces vitesses ne furent guère respectées : les retards dus aux stationnements imprévus, aux intempéries, à diverses opérations de transbordement ou à divers incidents techniques devinrent habituels. En revanche, les accidents graves, tels que les déraillements, ne furent jamais très spectaculaires et ne firent jamais la une des journaux !
Le trafic et les tonnages transportés
Nombre de voyageurs transportés :
- Avant la grande guerre : 500.000 par an sur l’ensemble du réseau.
- Années 20/21 : 301.500
- Années 22/23 : 407.000
- 1925 : 356.400
- 1926 : 298.800
- 1927 : 285.600
Tonnage de marchandises transportées :
Les trains étaient en principe mixtes (voyageurs + marchandises) mais des trains de marchandises de stricte définition étaient assez fréquemment mis en marche pour les besoins du service. Ils circulaient souvent de nuit.
Avant la Grande Guerre : 80.000 tonnes par an.
Pendant la Grande Guerre : Pendant la guerre 1914/1918, le trafic de la ligne de Lyon à St. Marcellin augmenta considérablement en raison de la desserte des usines d’armement de la banlieue de Lyon et surtout de celle du camp militaire de Chambaran. Des statistiques officieuses font état de près de 500.000 hommes de troupe et de 150.000 tonnes de marchandises à destination ou en provenance de ce camp durant les quatre ans et demi de guerre.
Après la guerre :
- 1924 : 63.000 tonnes
- 1926 : 57.000 tonnes
- 1927 : 68.000 tonnes
- 1928 : 55.000 tonnes
- 1929 : 45.000 tonnes
Dernières années : négligeable.
La régie des V.F.D. se désintéressa manifestement de ce service jugé « trop onéreux » qui ne faisait que renforcer le déficit d’exploitation.
Les marchandises transportées :
Charbon : pour les usines de tissage et autres industries.
Bois : produits de sciage et bois de mine.
Fourrages : à usage militaire.
Matériaux de construction
Vins et alcools (distilleries de la Côte St. André).
Bestiaux.
Produits métallurgiques.
Une originalité : les trains de soieries
Ce service très particulier fut organisé à partir de 1912 à la demande de la Chambre de Commerce de Lyon afin de pallier les difficultés des fabricants disséminés dans tout le Bas Dauphiné pour assurer leur approvisionnement en produits bruts et leurs livraisons en produits finis. Les trains en provenance de Lyon livraient les ballots de soie grège et chargeaient en retour les pièces de soie destinées à la « Condition des Soies » de Lyon. Le succès de cette initiative fut immédiat : en 1912, les trains de soieries circulèrent pendant 300 jours et parcoururent au total près de 50.000 km. Malheureusement, suite à un litige financier entre transporteur et client, cette expérience pourtant positive cessa le 31 décembre 1912.
La voie ferrée
- Le réseau était constitué de rail « Vignole » de 22 kg au mètre posés sur une couche de ballast en pierres concassées de 35 cm au maximum. Les traverses étaient espacées de 1 m.
- Le réseau était en outre équipé d’un téléphone de ligne.
- Côté ouvrage d’art, peu de choses à signaler si ce n’est le tunnel de Dionay d’une longueur de 78 m de long. Plus loin, un viaduc en treillis métallique (aujourd’hui détruit) enjambait le Furan à l’aide de deux tabliers de 32 m chacun soutenus par un pilier central sur soubassement de béton.
- De la halte de la Sapinière (bordure du plateau) à la gare de St. Antoine (point bas) la dénivellation était de 255 m pour 8 km de parcours. (soit une pente moyenne de 3,2 % avec des passages à 3,9 %)
Le personnel
Le personnel des T.O.D. se signala à l’attention par sa combativité corporative et syndicale, ainsi que le montrent les deux longues et très dures grèves de 1912 et 1919.
Dans le monde particulier des chemins de fer d’intérêt local, les conflits du travail, sans être inexistants, n’étaient pas des plus fréquents, et surtout ils se produisaient en liaison avec des mouvements affectant l’ensemble de la profession sur le plan national. Au contraire, les deux conflits qui survinrent aux T.O.D. furent des mouvements spécifiques et intéressant seulement ce réseau. Ils furent également remarquables par la quasi-unanimité et l’acharnement de leur participants.
En grève !
Le 6 août 1912 au soir débuta une grève générale des employés de toutes catégories du réseau. Cette grève, due à l’insuffisance des conditions de salaire et aux mauvaises conditions de travail dura près d’un mois. Elle prit fin par suite de la lassitude des ouvriers privés de leurs maigres salaires et aussi de l’hostilité d’une partie de la population. Aucun avantage appréciable n’avait été acquis par les intéressés mais ce n’était que partie remise. Après la grande Guerre, le 5 novembre 1919, débuta un nouveau mouvement qui pouvait passer à première vue comme un confit du travail ordinaire, le personnel revendiquant un certain nombre d’avantages pécuniaires ou sociaux. Mais à ces revendications classiques, s’en ajoutait une peu commune : le personnel réclamait que le Département procède à l’éviction de la Compagnie Sud-France et reprenne l’exploitation des T.O.D. à son propre compte, faute de quoi la grève continuerait. Dix jours après le début du conflit, le Préfet de l’Isère céda à cette curieuse exigence des grévistes ainsi qu’à toutes leurs autres revendications. Les usagers, par contre durent subir une nouvelle et substantielle augmentation des tarifs : + 125 % pour les voyageurs et +175 % pour les marchandises !
Les locomotives « Pinguely »
De 1898 à 1914, 25 locomotives de 18 et 22 tonnes furent commandées à la Société Lyonnaise Pinguely. Ces machines se caractérisaient par la présence d’une double cabine de pilotage, l’une à l’avant, l’autre à l’arrière. Ce dispositif, courant sur les machines des petites lignes secondaires de l’époque, permettait une conduite plus sûre lors des fréquentes traversées urbaines. Ces machines assurèrent seules la traction sur les sections rurales les plus accidentées (La Côte St. André – Roybon – St. Marcellin) notamment. Elles étaient fort sobres mais un poids trop faible (adhérence diminuée) associé à leur puissance insuffisante limitaient de façon draconienne les tonnages à transporter. Si l’on ajoute à ces défauts leur mauvaise tenue de voie (due à un empattement rigide très réduit), un entretien insuffisant, l’emploi d’un charbon en briquette de mauvaise qualité, la rigueur des rampes et l’abondance des courbes à faible rayon, on comprend alors la difficulté des convois à tenir la moyenne dans les sections à profil difficile !Certains racontaient même le plus gravement du monde que dans certaines rampes, les voyageurs « poussaient les trains » (!) ou le « dépassaient en flânant à ses côtés » (!)…Ces récits sont bien entendu de pure imagination mais reflètent tout de même une difficulté certaine !
Il est à noter qu’une de ces machines (la n° 31) est encore aujourd’hui en service sur le petit train touristique Lamastre – Tournon.
Les autorails Saurer
En 1923, les T.O.D. firent l’acquisition de trois « autobus sur rails » à essence destinés au transport des passagers. À l’origine, ces machines étaient équipées de deux essieux mais après de nombreux essais infructueux, l’essieu avant fut remplacé par un bogie porteur à quatre roues. Le trajet de La Côte St. André à St. Marcellin (54 km) pouvait être effectué en 1 h 50 (compte non tenu des arrêts) pour une consommation de 25 litres aux 100 km. Ces autorails allaient donc un peu plus vite que les convois à vapeur, mais ils étaient aussi beaucoup plus fragiles et déraillaient plus fréquemment. Ils n’améliorèrent donc pas l’image de marque des T.O.D. : Ils avaient l’aspect de camions sur rails et ils en avaient… le confort.
Les voitures « voyageurs »
Deux constructeurs se partagèrent la fourniture de ce matériel : la Sté Decauville pour les voitures à bogie et les Chantiers de La Buire pour les voitures à essieux. En 1920, un inventaire notait la présence sur les T.O.D. de…
- 2 voitures à essieux Buire de 1ère classe.
- 25 voitures à essieux Buire de 2ème classe.
- 5 voitures à bogies Decauvilles mixtes (voyageurs et marchandises).
- 8 voitures à bogies Decauville de 2ème classe.
Peu luxueuses, la plupart de ces voitures offraient néanmoins un système de chauffage qui, même s’il n’était pas très performant, devait être apprécié par les voyageurs de l’époque !
Les voitures « marchandises »
Les deux mêmes constructeurs se partagèrent la fourniture de ce matériel .
L’inventaire de 1920 note la présence sur le réseau de…
- 56 wagons couverts.
- 40 tombereaux plats à bords fixes ou tombants.
- 28 tombereaux avec barres de faîtage.
La durée des voyages
Les gares de Heyrieux, St. Jean de Bournay, La Côte St. André, Roybon et St. Antoine constituèrent durant toute la vie des T.O.D. autant de terminus de services partiels ou scindés. Les conséquences de cette organisation relèvent presque de la mauvaise plaisanterie :
En 1920, le voyage Lyon – St. Marcellin (117 km) pouvait être effectué en 9 heures (!) et obligeait à deux changements. Mais en 1925, (le progrès ne vient pas avec les années !) ce même voyage exigera 24 heures avec une nuit à l’hôtel (ou à la belle étoile) !
Après le Tacot : l’autocar ! Dans les années trente, les autocars remplacèrent donc le Tacot. Vu leur rusticité et vu l’état des routes de l’époque, on peut imaginer sans peine le luxe des voyages à bord de ces véhicules. Mais au moins, n’étant pas retardé par les mouvements de wagons ou les déchargements comme l’était le Tacot, les autocars assuraient un service d’une incomparable rapidité. Sur la ligne La Côte St. André – Roybon, le service voyageur fut définitivement assuré par autocar à partir de 1936.
Quelques dates
Ouvertures de lignes :
- 18 juin 1899 : Ligne du Grand Lemps
- 17 décembre 1899 : Section St. Jean de Bournay – La Côte St. André.
- 8 avril 1900 : Section La Côte St. André.- Viriville
- 3 juin 1901 : Section Viriville – Roybon (En présence du futur Président Gaston Doumergue, alors ministre)
- 6 avril 1908 : Section Roybon – St. Marcellin
- 15 déc. 1909 : Ligne de Bonpertuis
- Décembre 1909 : Ligne des Avenières
Les fermetures de lignes :
- Juillet 1927 : Ligne de Bonpertuis
- Août 1935 : Ligne du Grand Lemps et celle des Avenières
- 1936 : Plusieurs sections entre Lyon et St. Marcellin
- 1937 : Lyon – Heyrieux (voyageurs)
- Fin 1937 : Liaison La Côte St. André – Le Rival
La traversée des Chambarans
Au début du siècle, « Chambaran » avait mauvaise réputation auprès des habitants et des géographes… On incriminait son aspect désolé et sauvage, son climat pluvieux, sa froidure et ses neiges hivernales. On prétendait même parfois que cette région avait à son actif plusieurs morts, malheureux promeneurs égarés dans une tempête de neige ou engloutis dans quelque bas-fond marécageux… Le cheminement ferroviaire au sein du plateau ne devait pas toujours être une partie de plaisir, particulièrement en hiver. Chef-lieu de Canton, Roybon était la seule localité de quelque importance du plateau. « … Importance toute relative cependant, jusqu’à l’arrivée du chemin de fer et la construction du dépôt et des ateliers qui tirèrent quelque peu le village de sa léthargie… »
La vingtaine d’employés et d’ouvriers permanents n’appréciaient guère cette résidence, à en croire du moins les rapports des inspecteurs du réseau.
Une électrification « à la Suisse » ?
En 1920, des rapports préconisèrent une série de modifications pour amener à la rentabilité du réseau du T.O.D.
Des projets d’électrification s’ensuivirent mais ne furent jamais mis en chantier. Électrifiées « à la Suisse », certaines de ces lignes auraient pu longtemps rendre service, peut-être même jusqu’à nos jours. Mais en France, il ne fut jamais vraiment question de suivre l’exemple Suisse en matière de tramway.
Les Voies Ferrées du Dauphiné
La régie départementale des Voies Ferrées du Dauphiné fut créée le 20 janvier 1920 dans le but de réformer le chaotique système ferroviaire secondaire du département de l’Isère. Cet organisme public, qui existe encore de nos jours, et qui exploite de nombreuses lignes départementales ou interdépartementales d’autocars, allait peu à peu mettre la main sur toutes les lignes ferroviaires privées de l’Isère – hormis pour le trafic marchandises, celles de l’Est de Lyon – procédant à une unification qui paraissait à première vue des plus souhaitables. Toutefois, cette volonté de normalisation se traduisit essentiellement dans les faits par la suppression accélérée des voies ferrées et l’institution de services routiers de remplacement, y compris dans le cas de lignes électrifiées rentables, celles de Vizille et de Villard de Lans par exemple… Durant ses quinze années d’exploitation ferroviaire ou semi ferroviaires des T.O.D, la politique de la régie des V.F.D. fut celle de la plupart des régies départementales de l’époque :-compression à l’extrême des dépenses, l’entretien étant limité au minimum.
- Refus des investissements rentables à long terme.
- Mesures inexistantes pour stimuler les recettes.
- Pas d’amélioration des horaires et des correspondances.
- Pas d’amélioration dans le transport des marchandises.La seule préoccupation des autorités départementales de l’époque était en fait de trouver un moyen honorable – sans trop mécontenter la population – de se débarrasser du chemin de fer.
On démontra en outre aux opposants à cette suppression (notamment des Conseillers Généraux des cantons concernés) que le problème le plus urgent lié à ce train était les nuisances qu’il causait à la circulation urbaine, à Lyon surtout.