Genève et Saluces


Les Genève et les Saluces, seigneurs de Roybon

A la suite du transfert du Dauphiné à la couronne de France au milieu du XIVe siècle, et d’un échange de terres entre les familles de Savoie, de Genève et le Roi de France, la seigneurie de Roybon devient une terre des comtes de Genève, puis, par alliance, des marquis de Saluces. En effet le comte de Genève épouse Béatrix de Saluces et, à la mort de celle-ci, la terre de Roybon entre dans la famille de Saluces, probablement avant 1370. Vers 1398, le cardinal Amédée de Saluces en devient le seigneur, jusqu’à sa mort, en 1419.

Le blason de la ville de Saluzzo


Son neveu, Bertrand, en hérite ensuite mais est malheureusement tué à la bataille de Verneuil-sur-Avre(*), laquelle opposa les Français et les Ecossais aux Anglais et aux Bourguignons en 1424. La terre de Roybon est alors administrée par les représentants du Dauphin de France, pendant trois années, avant de revenir dans la famille de Saluces en 1427. Louis Ier de Saluces en est alors le seigneur de 1428 à 1475. Son fils Louis II lui succède peu de temps et vend la seigneurie en 1480 pour payer une dette à sa sœur Marguerite. La seigneurie restera donc dans la famille de Saluces pendant pratiquement tout le XVe siècle. En revanche, les Saluces ne demeuraient pas au modeste château de Roybon, mais plutôt en la baronnie d’Anthon ou à Saint-Donat, et confiaient l’administration de leurs terres à des châtelains.

Les comptes du châtelain de Cize

Comme nous l’avons dit, l’administration de la seigneurie de Roybon, après la mort de Bertrand de Saluces, sans descendants, a nécessité la mise sous tutelle de la seigneurie de Roybon. Les comptes du châtelain, rendus pendant cette période de tutelle, ont été conservés aux archives départementales de l’Isère et livrent quelques informations intéressantes sur l’administration du mandement de Roybon. On y apprend que le châtelain, Pierre de Cize, percevait chaque année des revenus en froment pour des cens, dont ceux de la maison du « chazal des Loives », des pensions pour l’exploitation des moulins et des revenus de taxes sur les terres défrichées (les « taches »). Deux Roybonnais représentaient alors les habitants : Jean Blanchard et Marion Ageron. Huit autres habitants sont cités car ils payaient, en avoine, le droit d’utiliser un four chez eux : Jacquement Charlet, Martin Ageron, Pierre Barrely, Jean Argod (Argoud), Jean Marchand, Jean Pinet, Jean Bal et les héritiers de Mathieu Branchon. D’autres familles des environs sont également citées dans ces comptes et payaient d’autres redevances : Clément, Basty, Alpan (Alphan), Doret (Dorey), Ageron, Lambert, Poncet, Chabrey …
Le châtelain percevaient aussi le ban de vin et des droits sur le marché (la « leyde »). Il payait à son tour le représentant du seigneur, le sieur Poncet, receveur général d’Anthon, sous le contrôle du notaire de Roybon, un certain Gautier.


Les habitants

Nous avons également retrouvés les noms des chefs de familles relevés lors des révisions des feux, c’est-à-dire les recensements fiscaux, pour les années 1430, 1446 et 1474. Ces recensements étaient effectués par les hommes du Dauphin, en présence du châtelain, des représentants de la communauté, syndics et procurateurs : le maître verrier Pierre de Cize, Pierre Clément et Pierre Ageron, accompagnés de Jean Faure et de Jean Blanchard. On retrouve dans ces listes les noms des plus anciennes familles de Roybon : Basty, Argoud, Marchand, Tournier, Martin, Rey, Berruyer, Gilbert, Faure, Ageron, Pécheur, Morelat, Germain, Pelat, Dollive … Ils sont classées en « solvables », « misérables » et enfin « ne possédant rien du tout ». On y répertorie des biens vacants, des successions, des biens perdus à cause de la guerre contre le prince d’Orange, des abandons, des pupilles, des effractions … mais on y parle aussi d’épidémies, d’une forte mortalité, de calamités naturelles, de grains chargés et de pénuries. Toutes ces précisions visaient évidement à demander un allègement des impôts … mais dénotent aussi des temps difficiles. En effet, parmi les familles roybonnaises, environ une centaine, seulement un quart était solvable.
Cela ne sera plus le cas au siècle suivant avec l’essor de la poterie, de la tannerie puis de la draperie. Le village de Roybon, bien situé sur la voie commerçante qui allait de Romans-sur-Isère à La Côte-Saint-André, fera un important commerce de draps avec Turin, Lyon et Genève jusqu’à la Révolution, comme si les Roybonnais avaient gardé en mémoire les itinéraires empruntés par leurs anciens seigneurs, les Genève et les Saluces.

La ville de Saluzzo dans le Piémont

La ville de Saluzzo (16 000 habitants) sous les pentes de l’élégant Mont Viso (3 841 m)

Saluzzo est le siège des marquis de Saluces de 1142 à 1548. Gian Gabriele I de Saluzzo meurt sans héritiers en 1548 et le marquisat est alors rattaché à la France. En 1601, le duc de Savoie Charles-Emmanuel Ier le Grand obtient d’Henri IV de rattacher le marquisat à la maison de Savoie lors de la paix de Lyon.

C’est de cette période sous la domination française que la ville porte aussi le nom francisé de Saluces. On trouve de nombreuses traces de cette francisation encore de nos jours comme par exemple sur le fronton de la casa cavassa transformée aujourd’hui en musée où l’on peut y lire la devise « droit quoi qu’il soit ».
Le site est réputé sur le plan géologique car c’est un lieu d’observation privilégié des ophiolites, roches de la croûte océanique à l’origine de la formation des Alpes. Le spectaculaire pilier du mont Viso est constitué de basalte et de gabbros métamorphisés. Plus bas, les pentes du mont Viso furent le siège d’une carrière néolithique de jade, entre 2 000 et 2 400 mètres d’altitude. Son pic d’exploitation est évalué à -5000 avant J.-C. La jadéite était utilisée pour fabriquer des haches cérémonielles, que l’on retrouve dans toute l’Europe occidentale.
Non loin des pentes du Viso se trouve le Pertuis du Viso, sous le col de la Traversette: il s’agit du premier tunnel creusé sous les Alpes, à la fin du XVe siècle. Cet ouvrage a été réalisé à l’initiative de Ludovico II, marquis de Saluces, pour relier la Provence et le Dauphiné à son marquisat. Achevé en 1480, après deux années de travaux, il a été dimensionné de manière à permettre le passage d’un mulet bâté et d’un homme courbé. L’emprunter permet d’éviter de franchir le col de la Traversette, à 2947 mètres d’altitude. Sur le plan économique, il permet de réduire de trois jours le trajet de Grenoble à Saluces, en évitant le Duché de Savoie qui contrôle alors de col du Mont-Cenis, ce qui favorise le commerce. Les caravanes reliant la Provence à Turin gagnent jusqu’à trois semaines par rapport à l’itinéraire sud qui emprunte le col de Montgenèvre. Ce tunnel, d’une longueur de 60 mètres, est encore praticable de nos jours.

Thierry Marchand

Sources : ADI B 2737, 2723, 4458

(*)Verneuil-sur-Avre : Petite ville de 7000 habitants du Département de l’Eure (Haute-Normandie), lieu d’une bataille célèbre de la guerre de 100 ans opposant près de 30 000 belligérants et laissant sur le terrain 8000 morts au total !
Clin d’œil de l’histoire : En 1988, a été implanté à Verneuil sur Avre … le premier Center Parc français, le Domaine des Bois-Francs, qui est aussi le plus grand jamais réalisé (310 hectares) !…